
Nom: Flurin Poltera
Profession/position: M & A Tax/ Private Clients, partenaire chez Deloitte
Famille: marié, deux enfants
Loisirs: le sport (de préférence sur deux roues; surtout à vélo ou, s’il y a un moteur, il faut que ce soit un moteur que l’on puisse bien entendre), la lecture (livres spécialisés – mais si possible sans contenu fiscal, donc quasiment «sans impôts») et la musique (j’écoute presque tout et je joue moi-même de la trompette et du bugle).
Pourquoi êtes-vous devenu conseiller fiscal? Qu’auriez-vous fait autrement?
Pendant longtemps, je n’avais pas de projet. Mais j’ai trouvé que «avocat» sonnait bien. J’ai donc fait le brevet. Mais comme j’avais embelli mes études en faisant du vélo et en jouant au jass, mes notes n’étaient pas suffisantes pour être embauché par un cabinet renommé. Je cherchais un créneau pour me spécialiser. Après une longue sélection, le droit fiscal est resté. Ce fut un coup de chance. Surtout parce que j’ai eu des mentors formidables: Peter Athanas, Stephan Kuhn, Georg Lutz, Thomas Stenz et Giuseppe Giglio.
Votre nom indique que vous avez des racines dans les Grisons et pourtant vous avez une «gueule zurichloise» (la langue de Zurich). Comment cela s’explique‑t‑il?
Lorsque j’ai commencé à travailler chez Arthur Andersen en 1999, la clique existante de Grisons authentiques s’est réjouie de l’arrivée d’un autre de leurs semblables. Ils m’auraient sans doute encore pardonné de ne pas parler le romanche. Mais le fait que j’ai une «gueule zurichoise» malgré mon nom a fait de moi un «bas zurichois normal» dès le premier jour. Ce que je suis aussi: J’ai vécu toute ma vie dans le canton de Zurich, à l’exception de trois mois en Australie/ Nouvelle-Zélande (à titre privé) et de trois mois à New York (à titre professionnel). Jusqu’à présent, le canton des Grisons ne m’a pas retiré ma nationalité, donc: J’y ai encore une sorte de racine.
Est-ce que vous vivez pour le droit fiscal?
Je dirais plutôt que je vis du le droit fiscal.
Vous arrive-t-il d’en avoir assez de votre activité actuelle?
Pas vraiment de l’activité de conseiller des clients. Ce qui me frustre en revanche, ce sont les multiples discussions sur toutes les bonnes raisons de travailler moins. Elles ont sans aucun doute leur raison d’être. Je me demande toutefois quel problème doit être résolu. Les thèmes principaux sont l’augmentation du temps libre et mental health. Ce sont des préoccupations majeures. Mais pour moi, il s’agit de quelque chose de plus fondamental: la relation de travail est une relation donnant-donnant. C’est malheureusement un peu compliqué, ce n’est pas une relation à deux parties. Outre le collaborateur en tant qu’individu, l’équipe, le «chef» et l’entreprise en tant qu’employeur sont impliqués, de même que la famille et bien sûr les clients. Tout le monde donne quelque chose et reçoit quelque chose en retour. J’essaie d’apprendre à mes collaborateurs à ne pas se focaliser sur le temps libre et la compensation financière.
Comment devrait-on, selon vous, considérer la question?
La discussion mérite une autre perspective. La partie la plus importante de ce que les collègues devraient (prendre) dans notre environnement de travail est le développement professionnel et personnel. Cela devrait se faire de manière structurée, de sorte que le «portable self» individuel (voir à ce sujet Herminia Ibarra, «Working Identity») de chacun grandisse et prenne de la valeur. Le droit fiscal et son interdisciplinarité offrent des conditions idéales pour cela. On peut évoluer dans tellement de directions. C’est une chance et un privilège. C’est sur cela qu’il faut se concentrer. Ce n’est pas seulement une dette d’apport de l’employeur; le collaborateur doit aussi se confronter à lui-même. Si l’on n’a pas d’idée ni d’objectif à ce sujet et que l’on ne constate donc pas de progrès, même plus de temps libre (ou une prime plus élevée) n’aidera pas. De ce point de vue, une discussion sur le fait de «travailler moins» ou de «gagner plus» ne conduit ni à des collaborateurs plus satisfaits ni à des collaborateurs plus pécheurs.
Quelle est votre destination de rêve?
Les serpentines exercent une attraction magique sur moi. Lorsqu’une route serpente en haut d’une montagne, je ressens une envie irrésistible de la parcourir sur deux roues. La question est alors toujours la même : en vélo de course ou en moto ? La première me procure une satisfaction incroyable (une fois arrivé en haut), la seconde est un pur plaisir. Les deux me libèrent l’esprit.
Y a-t-il quelque chose qui vous agace extrêmement dans le domaine fiscal?
Oui, c’est vrai. Je trouve certaines évolutions internationales agaçantes. Je me demande notamment si la Suisse ne pourrait pas agir plus intelligemment dans ce contexte. Au niveau national aussi, j’ai toujours des sentiments de gêne. En général, ils se manifestent lorsque l’office cantonal des impôts présente en janvier «Actualités de la fiscalité zurichoise» (soirée organisée par la section zurichoise d’EXPERTsuisse).
Quel livre lisez-vous en ce moment?
Je suis motivé par des sujets que je ne comprends pas, mais que j’aimerais mieux comprendre. En général, il y en a plusieurs à la fois, c’est pourquoi je me promène avec un livre différent tous les deux jours. Ma dernière acquisition est «Deep Transformations. A Theory of Degrowth». La manière dont le concept de croissance permanente peut fonctionner à long terme est depuis longtemps un mystère pour moi. Récemment, quelqu’un m’a dit sérieusement qu’il était important que la Suisse ait dix millions d’habitants le plus rapidement possible. Je ne peux pas m’imaginer que cela résoudrait plus de problèmes que cela n’en créerait où n’en aggraverait. D’un autre côté, il faut beaucoup d’optimisme pour croire que la degrowth telle qu’elle est décrite dans le livre peut être réalisée.
Vous avez suivi une formation d’Executive Master in Change à la prestigieuse INSEAD. Quelle était votre motivation?
C’est une collaboratrice des RH (une Grisonne!) qui a attiré mon attention sur cette formation il y a de nombreuses années déjà. Elle a dû voir comment je m’interrogeais lorsque ma communication n’obtenait pas les réactions que j’attendais et comment je constatais, incrédule, que même lorsque les décisions étaient prises à l’unanimité par des comités, la mise en œuvre des changements ne progressait obstinément que peu ou pas du tout. La formation à l’INSEAD est incroyablement variée et passionnante. Notamment parce que la première année, il faut s’occuper de soi-même – selon la devise: comment peut-on faire quelque chose pour les autres si on ne se connaît pas soi-même et si on n’est pas prêt à changer?
Qu’avez-vous retiré de cette formation?
La grande prise de conscience a été que je pensais que nous étions maîtres de nous-mêmes grâce à la pensée rationnelle. Or, le véritable centre de pouvoir est l’inconscient: l’inconscient individuel de l’individu et, plus complexe encore, l’inconscient collectif des groupes, des entreprises et des communautés. Ses mécanismes de défense nous protègent, mais nous empêchent aussi souvent d’avancer.
Pouvez-vous donner un exemple?
Les efforts des employeurs en matière d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, évoqués précédemment, peuvent être un mécanisme de défense collectif. Ils permettent aux collaborateurs de compenser le stress professionnel. Mais cela ne sert à rien si le problème n’est pas la complexité des tâches ou le volume de travail, mais un problème plus profond, comme par exemple un environnement toxique, un manque d’encadrement et de soutien, le sentiment d’être exploité ou tout simplement des tâches perçues comme inutiles. Malheureusement, les mesures initiées par les employeurs sont souvent destinées à combattre les symptômes, à éviter le défi de s’attaquer aux véritables raisons qui empêchent les collaborateurs de prendre du plaisir à travailler. L’un des objectifs de la formation est de savoir comment identifier et traiter de tels sujets. Celle-ci ne s’achève toutefois pas avec le travail de master. Il continue à travailler en nous et ne nous lâche plus.
Révision par Nicole Stucki-Racle